Si vous prenez une profonde inspiration dans un port marchand qui grouille d'activité, près d'une raffinerie ou sur une rue passagère, vous inhalerez probablement de la suie, cette matière constituée de nanoparticules émises lors de la combustion de carburants fossiles à base d'hydrocarbures. Ces émissions peuvent également contenir des traces de composés métalliques (cendres), ce qui rend cette substance encore plus dangereuse pour la santé. Seul un petit nombre d'études ont été publiées sur la composition des particules de suie émises par les moteurs, notamment leur teneur en cendres, en raison de la difficulté que présente ce type d'analyses.
Une découverte importante va cependant révolutionner la manière dont les chercheurs mesurent les cendres contenues dans les émissions de moteurs. Lors de mesures courantes effectuées pour estimer la quantité de suie (carbone noir) contenue dans des échantillons d'aérosol recueillis, émis par divers moteurs à combustion interne, des chercheurs du Centre de recherche en métrologie du Centre national de recherches du Canada (CNRC) ont trouvé sur la suie qui provenait des moteurs de bateau de petites tâches constituées d'un matériau bien plus dense. Après examen des images obtenues par microscopie électronique à transmission (MET), l'équipe de métrologie du carbone noir a conclu que ces tâches étaient probablement constituées de composés métalliques, mais les chercheurs n'ont pas voulu en rester là.
« Nous avons demandé à notre collègue, Martin Couillard (Ph. D.) du Centre de recherche sur l'énergie, les mines et l'environnement, d'examiner ces nanoparticules pour voir si elles contenaient des cendres, explique Stéphanie Gagné (Ph. D.), agente de recherches au Centre de recherche en métrologie. Par chance, l'équipe de Stéphanie venait de se doter d'un nouvel instrument très puissant, un microscope électronique à transmission à balayage en champ sombre annulaire (ADF‑STEM), qui a permis de visualiser comment les particules de suie et de cendre s'étaient mélangées. » Une stratégie originale puisque la microscopie MET conventionnelle n'aurait pas permis de détecter ces minuscules particules de cendre de l'ordre du nanomètre ni de déterminer leur composition individuelle. Jusqu'à maintenant, la technique d'ADF‑STEM n'avait principalement été utilisée que dans d'autres secteurs, tels que celui des semi‑conducteurs.
Stéphanie décrit les résultats étonnants obtenus : « Lorsque nous avons observé les échantillons des émissions associées aux combustibles résiduels, qui ne sont utilisés que par les bateaux, nous avons constaté que les cendres n'étaient pas présentes sous la forme de sphères distinctes à l'intérieur de la suie, comme on peut l'observer dans le cas des carburants distillés comme le diesel, le gaz naturel et le carburant d'aviation Jet A‑1. Les particules de cendre avaient plutôt formé une couche sur les particules de suie. Jamais les autres techniques n'ont permis de détecter cette couche. » La suie semblait avoir été peinte avec une couche de cendre, les chercheurs parlent de « ash‑painted soot » en anglais, ou « suie cendrée » en français. Lorsque les cendres adhèrent à la surface des nanoparticules de suie, les particules composites résultantes se comportent toujours comme de la suie. Elles peuvent rester en suspension dans l'air pendant des jours et constituent une menace pour la santé. Une fois inhalées, elles peuvent déclencher des réactions toxiques dans l'organisme.
Les chercheurs du CNRC étudient régulièrement les émissions des moteurs utilisés dans de nombreux secteurs associés aux transports, mais c'est en élargissant leurs travaux au secteur de la marine qu'ils ont pu faire cette découverte. Les bateaux utilisent des combustibles résiduels, le seul type de carburant connu pour émettre de la suie cendrée. « Les particules de carbone noir émises par ces moteurs présentent des teneurs en vanadium de l'ordre de 100 mg par gramme de carbone, précise Joel Corbin (Ph. D.), agent de recherches au Centre de recherche en métrologie. C'est considérablement plus élevé que les teneurs mesurées sur les émissions produites par les moteurs de véhicules comme les avions et les voitures. »
Clarifier la situation
« Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé différemment des outils traditionnels et des outils nouveaux qui nous ont chacun permis d'obtenir de nouveaux indices, ajoute Joel. En rassemblant tous les indices obtenus, nous avons pu confirmer que la suie et les cendres se mêlent pour produire des particules potentiellement nocives pour l'homme. »
L'expertise de Zuzana Gajdosechova (Ph. D.) en spectrométrie de masse et sa contribution aux efforts de l'équipe pour la mise au point de nouvelles méthodes d'analyse de la surface des particules ont été déterminantes. « C'est grâce à ces efforts que nous avons acquis la conviction que les cendres étaient présentes à la surface des particules et qu'elles pouvaient donc déclencher une réponse toxique dans les poumons », note Stéphanie.
Ces résultats aideront le gouvernement du Canada et l'Organisation maritime internationale à améliorer les politiques qui visent à protéger l'air que nous respirons. La pollution de l'air contribue à plus de 15 000 décès prématurés par an au Canada. Elle est également responsable de l'aggravation de l'asthme et d'autres maladies respiratoires et pèse en tout et pour tout quelque 114 G$ par an sur notre budget.
Stéphanie souligne que c'est grâce à l'interaction entre des chercheurs aux expertises complémentaires que le CNRC a pu faire converger différentes approches et changer la manière dont on conçoit les émissions de cendres et de suie. Les expertises ainsi mises en jeu allaient des aérosols à l'imagerie microscopique en passant par la spectrométrie de masse des métaux lourds.
« Nous avons eu la chance de pouvoir assembler une équipe unique qui a fait une découverte vraiment inattendue. »
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