Anna Jezierski, chercheuse au CNRC
Nous aimerions tous voir apparaître des thérapies révolutionnaires pour le cancer du cerveau et les maladies neurodégénératives, comme les maladies de Parkinson et d'Alzheimer. Mais l'accès au cerveau n'est pas chose facile. Cet organe est en effet protégé par un mécanisme — la barrière hématoencéphalique — dont le rôle est de repousser les pathogènes et les toxines indésirables. Ce faisant, cette barrière empêche toutefois aussi à environ 95 % des médicaments et des traitements thérapeutiques d'atteindre leur cible. Or, grâce à des approches novatrices et à des travaux de recherche d'avant-garde, des scientifiques du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) ont fait un pas dans la bonne direction.
Une équipe de chercheurs du programme Thérapeutiques au-delà de la barrière hématoencéphalique du Centre de recherche en thérapeutique en santé humaine du CNRC a en effet mis au point une nouvelle approche qui permet de prédire quelle thérapie ciblant le système nerveux central sera effectivement capable de passer la barrière hématoencéphalique. Cette avancée pourrait permettre le développement de nouveaux traitements de pathologies comme la maladie d'Alzheimer, la sclérose latérale amyotrophique (SLA), la démence, l'épilepsie, les infections neuronales et même le virus Zika. La nouvelle approche repose sur la découverte d'une technique consistant à modifier les cellules du liquide amniotique humain pour qu'elles produisent un type unique de cellules souches qui peuvent se différencier en n'importe quel type de cellules dans le corps : des cellules souches pluripotentes induites (CSPi).
« Les cellules souches pluripotentes induites nous permettent de générer tous les types de cellules que nous voulons étudier dans le cerveau », explique Anna Jezierski, chercheuse au CNRC.
Un modèle de réussite
Cette avancée scientifique (en anglais seulement) s'avère très prometteuse en tant qu'outil permettant de faire progresser diverses applications médicales et pharmaceutiques, de l'étude et de la modélisation des processus pathologiques à la création de vaccins et de vecteurs thérapeutiques personnalisés. Le modèle prédictif permettra également aux chercheurs de classer et d'optimiser très tôt les substances thérapeutiques les plus prometteuses, et donc de réduire les coûts.
Le modèle 2D du CNRC est constitué d'une membrane semi-perméable sur laquelle sont semées des cellules endothéliales cérébrales obtenues à partir de cellules souches pluripotentes induites (CSPi), pour créer ainsi une barrière hématoencéphalique artificielle au-dessus de neurones représentant le compartiment cérébral.
La mise au point du modèle de la barrière hématoencéphalique à partir de cellules souches a été lancée par le regretté Mahmud Bani-Yaghoub, chef d'équipe du groupe de pharmacologie in vitro de TSH. La méthode comporte 2 étapes : le développement de cellules souches pluripotentes induites (CSPi), puis leur différentiation au sein même du modèle de la barrière hématoencéphalique. En remplaçant les cellules du liquide amniotique par des CSPi et en exposant celles-ci à un cocktail de différents facteurs et milieux de croissance, Bani-Yaghoub et son équipe sont parvenus à les faire se différencier en cellules endothéliales cérébrales. C'est ce type de cellules qui forme la barrière hématoencéphalique et qui peut donc en reproduire de nombreuses propriétés.
« Notre approche offre de nombreux avantages par rapport aux protocoles actuels : elle est plus simple, requiert moins de travail et est très facilement reproductible. Plus important encore, elle est très efficace, et les cellules finales obtenues sont très pures », souligne Mme Jezierski.
Le modèle proprement dit est construit en faisant croître une couche de cellules endothéliales sur une membrane semi-perméable, l'ensemble agissant comme une barrière hématoencéphalique. Les cellules censées être protégées par la barrière, telles que des neurones humains (également développées à partir des CSPi), sont placées dans un compartiment inférieur. Les agents thérapeutiques, les techniques de diagnostic et les agents infectieux sont ensuite testés pour évaluer leur capacité de franchissement de la barrière, mais aussi pour déterminer leur efficacité thérapeutique sur les cellules cibles.
Accélérer l'innovation biopharmaceutique au Canada
Le CNRC a déjà mis en œuvre son nouveau modèle de barrière hématoencéphalique. Son programme Thérapeutiques au-delà de la barrière hématoencéphalique fait partie des rares programmes au Canada, et au monde, à offrir aux chercheurs de l'industrie, du gouvernement et des universités un modèle de la barrière hématoencéphalique construit à partir de CSPi permettant d'évaluer la capacité de vecteurs thérapeutiques à traverser cette barrière. Des sociétés canadiennes telles que Cyclenium Pharma et ViDa Therapeutics ont déjà fait appel à l'expertise du laboratoire et ont pu ainsi bénéficier d'un soutien et de conseils en innovation dans le cadre du Programme d'aide à la recherche industrielle du CNRC.
« La possibilité qui nous est donnée d'accéder à des tests pertinents et fiables de pénétration de la barrière hématoencéphalique, ainsi que l'expertise hors du commun disponible au sein du CNRC, engendre de nombreuses retombées bénéfiques », commente Mark Peterson, chef de l'exploitation de Cyclenium Pharma. « Le modèle nous a notamment permis d'évaluer une nouvelle caractéristique essentielle de nos molécules macrocycliques de synthèse et il a joué un rôle primordial dans la mise en œuvre de nos projets de recherche de nouveaux médicaments ciblant le système nerveux central. »
Ce nouveau modèle est également une pièce maîtresse des efforts de recherche actuellement mis en œuvre sur les infections par le virus Zika (en anglais seulement). En collaboration avec Judie Alimonte et Wayne Conlan, tous 2 chercheurs du CNRC, le modèle a été utilisé pour démontrer que le virus Zika réussit à traverser la barrière hématoencéphalique sans être altéré, infectant ainsi les cellules du cerveau. De la même manière, le modèle sera également un outil précieux pour les chercheurs de l'industrie et du gouvernement qui travaillent à la mise au point et à la sélection d'agents thérapeutiques antiviraux permettant de limiter l'action pathogène du virus Zika dans le cerveau.
Nouveaux défis : De la 2D à la 3D
La bio-impression 3D offre une nouvelle approche pour l'étude des propriétés de la barrière hématoencéphalique. De gauche à droite sur la photo : Simon Beyer (Aspect Biosystems), Ewa Baumann (CNRC), Danica Stanimirovic (CNRC), Erin Bedford (Aspect Biosystems) et Betty Li (CNRC).
La création d'un modèle prédictif bidimensionnel est une remarquable prouesse, mais qu'adviendrait-il si les chercheurs parvenaient à créer des modèles en 3 dimensions? C'est exactement ce que le CNRC tentera d'accomplir, en partenariat avec Aspect Biosystems. Dans le cadre d'un partenariat rendu possible grâce au financement du Programme d'innovation Construire au Canada, les chercheurs du CNRC feront partie des premiers scientifiques au monde à exploiter la bio-impression microfluidique pour créer les tissus multicellulaires en 3D du modèle de la barrière hématoencéphalique à base de CSPi.
Cette approche novatrice est essentielle, car la barrière hématoencéphalique n'est pas un simple amas de cellules endothéliales. Cette barrière est en fait une structure biologique complexe composée d'astrocytes, de péricytes et d'autres types de cellules formant une « unité neurovasculaire ». La bio-impression 3D permettra aux chercheurs de créer des structures qui imitent non seulement les propriétés des cellules biologiques de la barrière, mais qui reproduisent aussi leur environnement anatomique et physiologique.
« Grâce à ces nouvelles techniques de bio-impression, nous pouvons littéralement imprimer des cellules vivantes », explique Betty Li, qui a récemment rejoint le CNRC en tant que boursière postdoctorale et qui dirigera les efforts déployés pour la création du modèle 3D. « Cela nous permettra en retour de créer un modèle vivant de la barrière hématoencéphalique qui nous aidera à mieux comprendre ce système complexe et qui fera que notre protocole de sélection sera mieux à même de prévoir l'efficacité des agents thérapeutiques potentiels. »
Dans l'ensemble, la découverte de nouvelles façons de traverser la barrière hématoencéphalique aura une incidence importante sur la mise au point de nouveaux médicaments pour le traitement de pathologies qui affectent le système nerveux central, telles que la maladie d'Alzheimer.
« La barrière hématoencéphalique existe dans un microenvironnement tridimensionnel qui est essentiel à sa fonction, explique Jezierski. En créant un modèle 3D qui reproduit l'architecture et la diversité cellulaire de la barrière hématoencéphalique in vivo, nous pourrons mieux comprendre les éventuelles interactions entre cette barrière et les agents thérapeutiques à l'étude. Nous sommes très enthousiastes d'être à la pointe de la recherche dans ce domaine. »
Note : Cet article expose des travaux qui prolongent le travail original de 2 agents de recherches principaux du Centre de recherche en thérapeutique en santé humaine du CNRC, Mahmud Bani-Yaghoub (1964–2016) et Judie Alimonte (1960–2017), dont les efforts dévoués pour la mise au point d'un modèle de la barrière hématoencéphalique humaine et l'étude de la pathogenèse du virus Zika laisseront un souvenir impérissable.
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