C'est en jouant avec le feu que le CNRC rend les tissus à l'épreuve des balles plus résistants aux flammes, et a réussi à mettre au point une solution de la légèreté d'une plume avec des nanotubes, afin d'enlever un peu de lourdeur au pesant équipement de protection.
Qu'il s'agisse de défendre une frontière ou de combattre en terre étrangère, les militaires se retrouvent souvent sur la ligne de feu. Lestée de blindages et d'équipement, leur tenue pèse souvent plus de quarante kilos, une lourde charge à transbahuter, dans des situations où il faut souvent réagir avec la vitesse de l'éclair.
Les matériaux dont sont faits les gilets pare-balles, les casques, voire les panneaux blindés des hélicoptères et des véhicules terrestres stoppent les projectiles, mais ils doivent aussi être suffisamment légers et résister au feu. Actuellement, le blindage le moins lourd est constitué d'un polyéthylène à masse moléculaire très élevée (PEhpm) vendu sous des noms de marque comme Dyneema® et Spectra®. Bien que son efficacité soit identique à celle d'autres tissus d'une grande popularité tel le Kevlar®, et ce, avec seulement un peu plus de la moitié du poids, le PEhpm est beaucoup plus sensible à la chaleur et, de surcroît, très inflammable.
En 2016, deux importants fabricants canadiens d'équipement de protection individuelle (EPI) destiné aux premiers répondants et à l'armée canadienne se sont tournés vers le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) en quête de solutions novatrices qui les aideraient à respecter les normes de sécurité et d'inflammabilité. « Le polyéthylène prend feu si vite qu'il faut l'enduire d'un revêtement ignifuge afin qu'il ne s'embrase pas au contact des flammes », explique Michael Jakubinek, agent de recherche de l'équipe des nanocomposites au Centre de recherche sur les technologies de sécurité et de rupture du CNRC. « Malheureusement, l'enduit ne fait pas qu'ajouter une étape au procédé de fabrication, il alourdit le blindage. »
Selon le chercheur, le défi consistait à concevoir un traitement de surface qui permettrait au matériau à base de PEhpm de se conformer aux exigences industrielles d'inflammabilité sans trop l'alourdir pour autant. Après avoir évalué trois approches, une équipe composée de spécialistes de trois centres de recherche du CNRC — le Centre de recherche sur les technologies de sécurité et de rupture, le Centre de recherche en aérospatiale et le Centre de recherche sur l'automobile et les transports de surface — a opté pour un tissu léger, élaboré par le CNRC à partir de nanotubes de carbone. Les tissus de ce genre sont compatibles avec les procédés usuels servant à fabriquer les blindages laminés, alors que les revêtements sont appliqués séparément, en bout de chaîne.
Le nanomatériau du CNRC : puissance de feu
D'après Vladimir Pankov, agent de recherche principal du groupe des revêtements et des produits métalliques au Centre de recherche en aérospatiale, le tissu en nanotubes de carbone examiné se conforme aux principales exigences de résistance au feu de la norme établie. « Le client voulait que nous rendions le tissu plus résistant au feu sans qu'on en augmente le poids de plus de 50 mg par centimètre carré, explique-t-il. Nous avons fait dix fois mieux, tant la solution à base de nanotubes que nous lui avons proposée est légère. Le poids supplémentaire ne dépasse pas 5 mg! »
Et d'ajouter Damien Maillard, agent de recherche du groupe des polymères de pointe, au Centre de recherche sur l'automobile et les transports de surface : « Nous avons soumis les échantillons aux tests les plus rigoureux possibles, en recourant à l'équipement du laboratoire du CNRC à Boucherville, au Québec, une installation unique en son genre au pays. » Un test consistait à vérifier la réaction du matériau au feu en l'exposant trente secondes aux flammes, puis en faisant une pause de dix secondes, quatre fois de suite. « C'est énorme. Lors des essais précédents, le tissu n'avait été exposé aux flammes que cinq secondes. » Les prochaines phases de la recherche pourraient comprendre l'exposition de plus grandes feuilles, d'équipement ou de vêtements au feu.
Dans le laboratoire du CNRC à Boucherville (Québec), des essais d'inflammabilité ont été menés pour évaluer l'efficacité de nouveaux matériaux ignifuges appliqués aux matériaux de blindage modernes à haute performance. Dans cette séquence chronologique, en bas à droite, lorsqu'une flamme s'approche du panneau sans couche protectrice à base de nanotubes de carbone, l'échantillon prend feu. Il est donc clair qu'il ne répond pas aux exigences en matière d'inflammabilité. Les images de gauche ne diffèrent que par un facteur clé : l'application d'une couche protectrice sur la surface. En utilisant la même séquence chronologique, le panneau avec le tissu à base de nanotubes de carbone appliqué à la surface de l'armure ne prend pas feu (en haut à droite).
Le tissu, qui renferme plus de nanotubes de carbone que les nanocomposites ordinaires, a été produit pour la première fois au CNRC en 2014, lors d'une étude de petite envergure destinée à préciser l'interaction des nanotubes avec les polymères du polyuréthane. « Après l'avoir fabriqué et constaté la facilité avec laquelle on pouvait en modifier les propriétés pour en accroître la résistance, la conductivité ou l'extensibilité, nous avons compris qu'on pourrait utiliser le matériau à de multiples fins », raconte Yadienka Martinez-Rubi, agente de recherches de l'équipe des nanocomposites, au Centre de recherche sur les technologies de sécurité et de rupture. « Il suffisait de modifier quelques paramètres pour qu'on l'applique à n'importe quoi : des tenues de protection et des textiles pour les automobiles au déglaçage des avions ou aux ouvrages spatiaux en composites. »
Parce qu'on peut ajuster leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques, mais aussi en modifier la performance comparativement à celle de la matière première dont ils sont issus, les nanomatériaux gagnent de plus en plus d'importance dans tous les domaines de la vie. En poursuivant la recherche-développement sur la technologie des tissus en nanotubes, on aboutira à des applications nouvelles dans de nombreux secteurs techniques et industriels — pas seulement comme blindage ou comme protection contre le feu, mais aussi comme écran ou moyen de chauffage électromagnétiques. L'approche du tissu à nanotubes pourrait s'appliquer à d'autres nanomatériaux, notamment la technologie de pointe mondiale du CNRC des nanotubes en nitrure de bore.
Avec leurs partenaires de l'industrie, M. Jakubinek et Mme Martinez-Rubi, du Centre de recherche sur les technologies de sécurité et de rupture, s'attaquent maintenant à un défi de Solutions innovatrices Canada visant la fabrication du tissu puis son industrialisation. Dans cette optique, le CNRC souhaiterait s'associer à des membres de l'industrie qui l'aideront à commercialiser et à exploiter cette technologie prometteuse, une occasion sans pareille pour les fabricants canadiens d'acquérir un net avantage sur leurs concurrents.
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