Aucun pays ne possède un littoral aussi long que le Canada. Pour être exact, les côtes canadiennes sont 2 fois plus vastes que celles du pays qui se classe deuxième sur ce plan (la Norvège, avec ses innombrables fjords). Le niveau de la mer ne cessant de monter, l'océan reprend graduellement ses droits sur le sol et le Canada y est particulièrement vulnérable. Avec son immense côte à protéger, le pays cherche l'aide de la nature.
Le plus souvent, on protège le littoral avec des structures rocheuses ou bétonnées. Les digues, les brise-lames et les gabions sont constitués de cubes de grillage pleins de pierres. Depuis quelques décennies cependant, on sait que les écosystèmes naturels confèrent une protection semblable aux zones côtières. Ainsi, les récifs coralliens font office de brise-lames en créant des zones d'eau peu profonde quand les vagues s'écrasent sur eux, au loin, plutôt que sur le rivage. Seul arbre de la planète à prospérer dans l'eau salée, le palétuvier possède un système racinaire aussi vaste que complexe dans et au-dessus de l'eau pour former les mangroves sur lesquelles se butent les tempêtes. Enfin, les marais salés qui émaillent le littoral et les estuaires canadiens mettent le rivage à l'abri de l'érosion en réduisant la taille et la force des vagues qui le battent.
Pour les Canadiens et Canadiennes qui conçoivent les ouvrages de protection côtiers, intégrer des « solutions s'inspirant de la nature » signifie établir l'importance de la protection conférée par celles-ci, mais aussi la meilleure façon de les exploiter et l'endroit idéal où les aménager, comparativement aux ouvrages de production humaine. C'est pourquoi, appuyés par le Centre de recherche en génie océanique, côtier et fluvial, le Conseil national de recherches du Canada et ses partenaires de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) ont entrepris d'étudier les marais salés afin de recueillir les précieuses informations qui nous manquent.
Au sujet de la nature du projet, l'ingénieur de recherche principal Paul Knox déclare : « Les marais salés réduisent considérablement l'énergie des vagues, on l'a prouvé. Mais avec quelle efficacité? C'est ce que l'on se demande. Tout dépend des conditions ambiantes, de la pente, de la profondeur de l'eau et des végétaux qui composent le marais. »
La mise à l'échelle, entre autres, rend l'étude plus complexe de l'incidence des plantes sur les vagues. En effet, créer la maquette d'un navire, d'un rivage et du plancher marin puis reproduire les vagues et les courants afin de vérifier la performance du bâtiment ou l'évolution du littoral au fil des ans ne pose guère de difficultés aux scientifiques. Mais comment pourrait-on fabriquer un modèle réduit des plantes? C'est impossible.
L'équipe de l'INRS, à Québec, dispose d'une installation qui contourne le problème : le Laboratoire hydraulique environnemental. Les scientifiques ont recréé un marais salé dans son canal de jaugeage extérieur. De 120 mètres de longueur par cinq mètres de largeur et cinq de profondeur, ils y ont planté trois types de végétations (poussant chacune à une profondeur différente). « Le canal est doté d'un générateur de houle très puissant qui engendre des vagues d'une hauteur normale. Bref, semblables à celles qu'on rencontrerait dans l'océan », explique M. Knox. « Utiliser des plantes signifie que les essais doivent s'effectuer à la taille réelle. C'est en cela que l'installation de l'INRS s'avère exceptionnelle. Elle est d'une utilité hors du commun. »
Fort de dizaines d'années en recherche côtière, le CNRC fournit des conseils, un rôle capital dans le projet. « Beaucoup d'installations, à Ottawa, ont servi à l'étude des régions côtières et l'on y effectue des recherches sur le littoral depuis des décennies », poursuit le scientifique. « Nous possédons un énorme savoir-faire que l'INRS a exploité lorsque l'on a dressé le plan d'expérimentation du projet. »
Le marais salé a traversé l'hiver intact dans le canal de jaugeage de l'INRS, de la fin de 2023 au début de 2024, ce qui a permis de glaner des données inédites sur sa capacité à mettre le rivage à l'abri des variations saisonnières et sur la manière dont il y parvient, ce qu'aucune étude n'avait réalisé auparavant. Au printemps de 2024, l'équipe a repris ses essais pour répondre à d'autres questions qui nous apprendront si le marais dépérit en hiver, les conséquences d'un tel dépérissement sur la protection de la côte et le temps qu'il faut au marais pour repousser et retrouver son efficacité première.
« Les ingénieurs et les gens du métier ont souvent l'impression de patauger dans le noir quand ils tentent de trouver une solution en l'absence de données adéquates », conclut M. Knox. « L'un des principaux résultats du projet consistera à leur montrer qu'il existe bel et bien les données requises pour procéder à de tels aménagements naturels. »