Ali Tehrani, président et chef de la direction de Zymeworks Inc.
C'est la reine de toutes les maladies, celle dont on ne veut pas entendre parler, surtout dans le bureau du médecin : le cancer. En partie à cause du vieillissement de la population, la Société canadienne du cancer a récemment estimé que près d'un Canadien sur deux recevra un diagnostic de cancer au cours de sa vie.
Mais les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises. Grâce à des partenariats novateurs au sein de l'industrie et à des travaux de recherche avant-gardistes, les scientifiques trouvent de nouvelles façons de lutter contre cet ennemi de longue date. L'un des leaders mondiaux de la recherche dans le domaine est M. Ali Tehrani. Lorsque celui-ci a commencé à travailler sur un projet de modélisation intelligente et assistée par ordinateur des molécules protéiques, il n'était pas encore pleinement conscient de la portée potentielle de ses travaux. L'entreprise qu'il a fondée en Colombie-Britannique en 2003, Zymeworks Inc., est maintenant un chef de file mondial dans le domaine de la biothérapeutique, à savoir la science du traitement des maladies par des médicaments fabriqués à partir de cellules vivantes ou utilisant des cellules vivantes. Par la mise au point d'un éventail de plateformes technologiques — et de produits thérapeutiques conçus à partir de celles-ci —, l'entreprise représente aujourd'hui une source d'espoir grandissante pour le traitement de divers cancers, à commencer par les cancers du sein, de l'estomac et de l'ovaire.
« Les pharmacothérapies ciblées renferment un énorme potentiel pour le traitement futur d'un vaste éventail de cancers, affirme M. Tehrani. Les produits biologiques ciblent les cellules cancéreuses avec une très grande efficacité, et souvent sans présenter les effets secondaires normalement associés aux chimiothérapies traditionnelles. La mission de Zymeworks est de créer des thérapies novatrices qui permettront aux patients de partout dans le monde de retourner auprès de leurs proches en laissant la maladie derrière eux. »
Une réussite mondiale bien de chez nous
Zymeworks fait aujourd'hui figure de proue dans le monde de la biotechnologie. En mai 2017, l'entreprise a réussi son entrée en bourse à Toronto et à New York, avec quelque 58,5 millions de dollars américains en capitaux levés. Elle est ainsi devenue l'une des plus importantes sociétés de technologies de la santé au monde au chapitre des capitaux levés. L'entreprise, qui est passée de 7 à 194 employés, a mis au point deux candidats thérapeutiques actuellement à l'étape des essais cliniques et établi des partenariats avec de nombreux fabricants de médicaments multinationaux, comme Merck, GlaxoSmithKline et Johnson & Johnson, pour n'en nommer que quelques-uns. Au-delà des réussites obtenues jusqu'à maintenant, Zymeworks pourrait générer des revenus supplémentaires de plusieurs milliards de dollars si ses efforts permettaient de mettre sur le marché des traitements pharmacologiques efficaces. Cela dit, il peut être difficile de croire qu'à ses débuts, l'entreprise a traversé des périodes où elle disposait d'à peine assez de capital pour couvrir ses frais d'exploitation de base. Cependant, grâce au soutien et au financement de départ du Programme d'aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada (PARI CNRC), Zymeworks est arrivée à transformer ses premiers balbutiements technologiques en modèles thérapeutiques fonctionnels.
Le partenariat entre Zymeworks et le CNRC a officiellement pris forme en 2009. Jouant un rôle déterminant dans la croissance de l'entreprise, le Centre de recherche en thérapeutique en santé humaine du CNRC a fourni à Zymeworks l'expertise et l'infrastructure de laboratoire requises pour permettre à sa plateforme technologique de passer du stade de modèle théorique de pointe à celui de produit concret.
« Les données générées en collaboration avec le CNRC nous ont aidé à convaincre nos premiers partenaires pharmaceutiques que nous disposions d'une plateforme viable pour développer des produits biologiques ciblés », explique Ryan Dercho, directeur principal des Opérations commerciales à Zymeworks.
Patrouiller dans le corps humain
Le corps humain abrite une vaste gamme d'anticorps différents — plus de 100 millions — qui patrouillent jour et nuit pour combattre les infections et les maladies. Quand un cancer se propage, c'est parce qu'il a réussi à contourner les défenses naturelles. La chimiothérapie peut tuer les cellules cancéreuses intrusives, mais elle le fait sans discernement, endommageant souvent les cellules saines au passage. Les anticorps thérapeutiques, par ailleurs, sont conçus pour viser spécifiquement les cellules cancéreuses tout en laissant intactes les cellules saines. Ces produits sont ainsi plus efficaces et aident à éviter les effets secondaires courants comme la perte de cheveux, la fatigue ou la nausée.
Le premier anticorps thérapeutique de Zymeworks, ZW25, cible le cancer en s'attaquant à un marqueur spécifique appelé « récepteur HER2 », une protéine qui s'arrime à la surface de certains types de cellules cancéreuses et leur indique de croître. Cependant, au lieu d'utiliser un modèle d'anticorps traditionnel qui ne peut se lier qu'à un endroit particulier, ZW25 est un anticorps bispécifique pouvant se lier simultanément à deux endroits différents sur les récepteurs HER2 en question. Il est ainsi possible d'engendrer un effet de regroupement qui crée une chaîne entre les récepteurs HER2 et bloque plus efficacement les chemins de signalisation (empêchant la croissance), tout en stimulant plus efficacement la réponse du système immunitaire.
Contrairement aux anticorps usuels (à gauche), la technologie AzymetricMC de Zymeworks (à droite) permet une liaison bispécifique, qui relie efficacement les protéines HER2 (représentées en gris) à la surface des cellules cancéreuses et permet de limiter plus efficacement la croissance et de mieux stimuler le ciblage par le système immunitaire.
Le développement d'anticorps bispécifiques est un enjeu de taille. En effet, ces anticorps peuvent être sujets à un certain nombre de problèmes : les deux parties de la molécule peuvent ne pas travailler ensemble ou se décomposer en présence de certaines conditions, ou encore une partie peut être favorisée par rapport à l'autre. La technologie mise au point par Zymeworks permet d'obtenir des anticorps bispécifiques très stables et constamment asymétriques qui se lient en permanence à deux cibles différentes, d'où le nom de la plateforme thérapeutique, soit AzymetricMC.
Toutefois, ce qui fonctionne dans un modèle informatique pourrait ne pas se transposer dans la réalité. C'est pourquoi des essais en laboratoire étaient essentiels pour déterminer si le modèle thérapeutique pourrait un jour fonctionner sur des sujets vivants. C'est à cette étape que l'appui du CNRC a joué un rôle crucial. Le CNRC dispose en effet de la plus grande équipe de recherche et développement consacrée aux produits biologiques au Canada. Sur la base des séquences d'ADN mises au point et fournies par Zymeworks, les chercheurs du CNRC ont pu produire les molécules en question, les purifier, les caractériser et les tester.
Un nouveau champ de bataille
L'essai in vitro effectué en laboratoire par le CNRC a joué un rôle essentiel dans la réussite du partenariat avec Zymeworks Inc. (Sur la photo : Anne Marcil, chercheuse au CNRC)
Selon M. Tehrani, un changement de paradigme vers des produits biologiques multifonctionnels s'opère actuellement au sein de l'industrie de la biotechnologie. Les anticorps usuels sont monospécifiques, ce qui signifie qu'ils sont conçus, par leur nature, pour reconnaître un seul antigène à la fois. Or, en créant des anticorps bispécifiques, on parvient à lutter simultanément contre deux cibles distinctes et, ainsi, à élargir l'éventail des utilisations possibles.
« Nous avons mis au point plusieurs plateformes technologiques d'avant-garde pour la conception de produits thérapeutiques multifonctionnels, mais le plus important demeure les traitements eux-mêmes », souligne M. Tehrani.
Par exemple, les conjugués anticorps-médicament (CAM), comme le ZW49 de Zymeworks, adoptent la même approche bispécifique que le ZW25, tout en ajoutant l'administration d'un médicament au mélange. Ainsi, l'anticorps cible d'abord les récepteurs HER2 dans les tissus cancéreux, puis une fois qu'il s'y est fusionné, il relâche une toxine qui tue les cellules cancéreuses de l'intérieur.
« L'action des toxines comme celles utilisées pour détruire les cellules cancéreuses en chimiothérapie n'est pas très ciblée, explique Ivan Lessard, agent de recherche principal du CNRC pour le projet. Le recours à des anticorps permet à ces toxines d'agir avec beaucoup plus de précision et de cibler de préférence les cellules cancéreuses. »
Un CAM, c'est un peu comme une bombe intelligente contre le cancer : l'anticorps ZW49, fabriqué en laboratoire, se lie aux récepteurs HER2, présents en grande quantité dans les cellules touchées par les types de cancers en question, puis une toxine est relâchée dans les cellules cancéreuses afin de les tuer de l'intérieur. Ce traitement hautement ciblé et précis pourrait un jour révolutionner le traitement de certains cancers du sein et de l'estomac, entre autres.
Preuve que M. Tehrani demeure résolu à atteindre son objectif à long terme : l'année 2019 marque la dixième année de collaboration officielle entre le CNRC et Zymeworks, et le travail se poursuit.
« Il s'agit d'un projet de longue haleine qui comporte de nombreuses étapes. C'est pour cette raison que l'accès aux installations et à l'expertise du CNRC dont nous avons bénéficié au fil des ans s'est révélé essentiel, précise M. Tehrani. Les investissements en recherche fondamentale d'aujourd'hui constituent la pierre d'assise des découvertes de demain. Notre collaboration avec le CNRC devrait servir d'exemple à suivre : ce n'est qu'en combinant vision, expertise et travail d'équipe que nous produirons la prochaine génération de traitements contre le cancer. »
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